May 5, 20212
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Sur le terrain
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Renforcer et médicaliser les maraudes

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Depuis la fin avril 2020, l’accueil santé social hygiène (Ass-h) de l’unité locale de Toulouse  s’est doté d’une équipe mobile afin d’assurer des  maraudes diurnes. Un dispositif imaginé à l’aune de la crise du Covid-19, synonyme d’une présence  renforcée auprès des plus précaires, dont la  fragilité s’est encore accrue ces derniers mois. Reportage d'Elma Haro - Photos Enzo Thieulin.

Responsable de l’accueil santé-social-hygiène de  l’unité locale de Toulouse, Ludovic Grandmontagne  songeait depuis un moment déjà à développer un  dispositif mobile. C’est la survenue de la crise liée au  coronavirus et l’aggravation de la précarité des plus  fragiles qui ont dessiné les contours du projet. Que  peut bien vouloir dire se confiner lorsque l’on n’a pas  de toit ? Respecter les gestes barrières et les règles  d’hygiène alors que l’on manque de tout, même d’eau  ou de savon ? C’est pour répondre à ces difficultés  nouvelles, parfois ubuesques, qu’est née l’équipe mobile  de l’Ass-h, un dispositif à mi-chemin entre veille sanitaire  et veille sociale, au printemps 2020. Depuis le 24 avril,  trois après-midi par semaine, une équipe constituée de  quatre bénévoles, dont au moins un professionnel de  santé, un maraudeur et un secouriste, parcourt les rues  du centre-ville de Toulouse à la rencontre des personnes  en situation de grande précarité. 

Une mission plurielle 

En cet après-midi de novembre, le camion chargé  de savon, kits hygiène, sous-vêtements et autres  produits d’hygiène de base, Marine Di-Dio, infirmière,  Laurent Vezinhet, maraudeur, Ali Djibert, secouriste  et maraudeur, et Mélanie Neu s’installent. L’œil aux  aguets, à la recherche de ceux qui n’ont parfois pour  tout abri qu’un bout de trottoir, un banc, ou l’auvent d’un  restaurant fermé. « L’après-midi, nous croisons souvent  ceux qui nous échappent le soir, notamment des familles  avec leurs enfants ou des personnes qui dorment dans  un squat ou dans un centre d’hébergement d’urgence »,  explique Laurent. Autant d’hommes et de femmes pour lesquels la crise s’est traduite par « une précarité encore accrue ».

 

Assis devant une supérette, Johan*  le dit avec ses mots: « Cette crise rajoute de la galère  à nos galères ». Le visage du jeune homme s’éclaire et  son « merci » résonne haut et fort alors qu’Ali lui tend du  savon et de la crème hydratante pour ses mains raidies  par le froid. Des savons qui partent comme des petits  pains depuis que l’équipe mobile est en place. Depuis  la fin avril, elle a rencontré près de 1 200 personnes et  distribué quasi autant de produits d’hygiène, essentiels  pendant cette période d’épidémie.  

Ces gestes sont aussi la base pour amorcer un dialogue  ou repérer un besoin de soin. Dans un coin du véhicule,  Marine garde à portée de mains sa trousse de soins  infirmiers. Bandages et antiseptiques pour réaliser  un pansement, matériel pour la prise des constantes  vitales et kit d’équipement, si nécessaire, en cas de geste  infirmier pour une suspicion de Covid-19. La procédure,  dans ce cas, est bien en place: un appel au 115 pour que la personne rencontrée puisse se faire tester et être  hébergée en attendant son résultat, ou bien au Samu, s’il  y a une urgence et le besoin d’une ambulance. Marine  a rarement dû y recourir. Il faut dire, précise-t-elle, que  « la santé n’est pas la priorité des personnes sans abri.  Leur priorité est de survivre ». Cependant, la présence  d’un bénévole soignant au sein de l’équipe n’en est  pas moins précieuse, souligne Laurent, citant le cas  de « Claude, dont Marine a repéré, il y a peu, la fièvre  et la détresse respiratoire aiguë et pour qui elle a dû  appeler le 15. Nous, maraudeurs, serions passés à côté. »  Claude, justement, se tient cet après-midi à l’entrée  de la poste. Il est sorti de l’hôpital mais de là à se faire  suivre par un médecin… En attendant, il ne dit pas non à  un bol de soupe chaude pour le soir, lors de la maraude  nocturne. « C’est aussi ça l’équipe mobile, commente  Laurent, un maillon supplémentaire et complémentaire  des dispositifs de la Croix-Rouge française et de ses  partenaires. Des après-midi jusque-là synonymes de  creux, où l’on peut désormais proposer une écoute,  orienter les personnes et leur prodiguer des soins. »  Ludovic Grandmontagne opine. Le dispositif a certes  pris forme en réponse au Covid-19, mais il demeurera  au-delà.  

*Certains prénoms ont été modifiés. 

Mobilisés aux côtés des plus vulnérables

La crise que nous traversons depuis un an a plongé  dans la précarité ceux qui parvenaient encore  à se maintenir dans un équilibre fragile. Pour les  personnes déjà en situation de grande précarité, voire d’exclusion, la vie est devenue encore plus  compliquée. Sami Chayata, délégué national  adjoint de la filière Lutte contre les exclusions,  n’hésite pas à parler d’une crise humanitaire. 

 

 

Qui sont ces nouveaux visages de la précarité dont on parle tant aujourd’hui ? 

Ce virus touche avant tout les plus vulnérables dont,  évidemment, les personnes en situation d’errance,  les personnes mal-logées, vivant dans des structures  collectives ou dans des habitats insalubres. Le premier  confinement a amené vers la précarité des personnes qui  n’étaient pas identifiées auparavant par la Croix-Rouge  française, des personnes qui étaient alors « à la lisière »  de la pauvreté. Le deuxième confinement est venu ancrer  ces publics dans une situation de précarité. Nous les  rencontrons désormais dans nos divers dispositifs.

 

Comment la Croix-Rouge française s’est-elle organisée  pour faire face à cette augmentation des besoins?

Nous avons fait le choix de maintenir toutes nos activités  de lutte contre les exclusions en les adaptant ou en les  aménageant pour répondre aux contraintes sanitaires  et faire face à cette situation exceptionnelle. Parce que  « l’aller vers » demeure plus que jamais essentiel, nous  avons intensifié nos maraudes, étendu les tournées  et augmenté les distributions de kits hygiène et de  nourriture. Nous avons créé des équipes mobiles sociales  et sanitaires. Dans les accueils de jour, nous avons  allongé les horaires pour compenser la réduction de  notre capacité d’accueil. Très important, nous avons maintenu ouverts nos points hygiène, renforcé le 115 et  l’hébergement d’urgence. Nos centres d’hébergement  spécialisés (CHS) ont également rouvert pour accueillir les personnes malades mais ne nécessitant pas  d’hospitalisation. La mobilisation des bénévoles et salariés de la Croix-Rouge française a été massive. 

 

En quoi le maintien du lien social est-il fondamental ?

La question du lien social est au cœur de toutes  nos activités. La crise sanitaire et les mesures de  distanciation sont venues impacter ce lien social, mais  nous avons mis en place différentes initiatives pour  combler ce manque: appels de convivialité, visio conférences, envois de sms, création de groupes de  conversation, etc. Des discussions informelles se sont  organisées, permettant de créer des relations nouvelles,  horizontales, entre les travailleurs sociaux et les  personnes accueillies. Nous assurons des distributions  de téléphones portables, de tablettes et d’ordinateurs  pour équiper ceux qui en ont besoin. Quand la  souffrance psychique des personnes est trop pesante,  nous proposons des rendez-vous en présentiel, en petit  comité. Notre objectif est de maintenir nos actions et  notre accompagnement dans la durée, car la crise est  loin d’être terminée.