Renforcer et médicaliser les maraudes
Progression dans le chapitre
Responsable de l’accueil santé-social-hygiène de l’unité locale de Toulouse, Ludovic Grandmontagne songeait depuis un moment déjà à développer un dispositif mobile. C’est la survenue de la crise liée au coronavirus et l’aggravation de la précarité des plus fragiles qui ont dessiné les contours du projet. Que peut bien vouloir dire se confiner lorsque l’on n’a pas de toit ? Respecter les gestes barrières et les règles d’hygiène alors que l’on manque de tout, même d’eau ou de savon ? C’est pour répondre à ces difficultés nouvelles, parfois ubuesques, qu’est née l’équipe mobile de l’Ass-h, un dispositif à mi-chemin entre veille sanitaire et veille sociale, au printemps 2020. Depuis le 24 avril, trois après-midi par semaine, une équipe constituée de quatre bénévoles, dont au moins un professionnel de santé, un maraudeur et un secouriste, parcourt les rues du centre-ville de Toulouse à la rencontre des personnes en situation de grande précarité.
Une mission plurielle
En cet après-midi de novembre, le camion chargé de savon, kits hygiène, sous-vêtements et autres produits d’hygiène de base, Marine Di-Dio, infirmière, Laurent Vezinhet, maraudeur, Ali Djibert, secouriste et maraudeur, et Mélanie Neu s’installent. L’œil aux aguets, à la recherche de ceux qui n’ont parfois pour tout abri qu’un bout de trottoir, un banc, ou l’auvent d’un restaurant fermé. « L’après-midi, nous croisons souvent ceux qui nous échappent le soir, notamment des familles avec leurs enfants ou des personnes qui dorment dans un squat ou dans un centre d’hébergement d’urgence », explique Laurent. Autant d’hommes et de femmes pour lesquels la crise s’est traduite par « une précarité encore accrue ».
Assis devant une supérette, Johan* le dit avec ses mots: « Cette crise rajoute de la galère à nos galères ». Le visage du jeune homme s’éclaire et son « merci » résonne haut et fort alors qu’Ali lui tend du savon et de la crème hydratante pour ses mains raidies par le froid. Des savons qui partent comme des petits pains depuis que l’équipe mobile est en place. Depuis la fin avril, elle a rencontré près de 1 200 personnes et distribué quasi autant de produits d’hygiène, essentiels pendant cette période d’épidémie.
Ces gestes sont aussi la base pour amorcer un dialogue ou repérer un besoin de soin. Dans un coin du véhicule, Marine garde à portée de mains sa trousse de soins infirmiers. Bandages et antiseptiques pour réaliser un pansement, matériel pour la prise des constantes vitales et kit d’équipement, si nécessaire, en cas de geste infirmier pour une suspicion de Covid-19. La procédure, dans ce cas, est bien en place: un appel au 115 pour que la personne rencontrée puisse se faire tester et être hébergée en attendant son résultat, ou bien au Samu, s’il y a une urgence et le besoin d’une ambulance. Marine a rarement dû y recourir. Il faut dire, précise-t-elle, que « la santé n’est pas la priorité des personnes sans abri. Leur priorité est de survivre ». Cependant, la présence d’un bénévole soignant au sein de l’équipe n’en est pas moins précieuse, souligne Laurent, citant le cas de « Claude, dont Marine a repéré, il y a peu, la fièvre et la détresse respiratoire aiguë et pour qui elle a dû appeler le 15. Nous, maraudeurs, serions passés à côté. » Claude, justement, se tient cet après-midi à l’entrée de la poste. Il est sorti de l’hôpital mais de là à se faire suivre par un médecin… En attendant, il ne dit pas non à un bol de soupe chaude pour le soir, lors de la maraude nocturne. « C’est aussi ça l’équipe mobile, commente Laurent, un maillon supplémentaire et complémentaire des dispositifs de la Croix-Rouge française et de ses partenaires. Des après-midi jusque-là synonymes de creux, où l’on peut désormais proposer une écoute, orienter les personnes et leur prodiguer des soins. » Ludovic Grandmontagne opine. Le dispositif a certes pris forme en réponse au Covid-19, mais il demeurera au-delà.
*Certains prénoms ont été modifiés.
Mobilisés aux côtés des plus vulnérables
La crise que nous traversons depuis un an a plongé dans la précarité ceux qui parvenaient encore à se maintenir dans un équilibre fragile. Pour les personnes déjà en situation de grande précarité, voire d’exclusion, la vie est devenue encore plus compliquée. Sami Chayata, délégué national adjoint de la filière Lutte contre les exclusions, n’hésite pas à parler d’une crise humanitaire.
Qui sont ces nouveaux visages de la précarité dont on parle tant aujourd’hui ?
Ce virus touche avant tout les plus vulnérables dont, évidemment, les personnes en situation d’errance, les personnes mal-logées, vivant dans des structures collectives ou dans des habitats insalubres. Le premier confinement a amené vers la précarité des personnes qui n’étaient pas identifiées auparavant par la Croix-Rouge française, des personnes qui étaient alors « à la lisière » de la pauvreté. Le deuxième confinement est venu ancrer ces publics dans une situation de précarité. Nous les rencontrons désormais dans nos divers dispositifs.
Comment la Croix-Rouge française s’est-elle organisée pour faire face à cette augmentation des besoins?
Nous avons fait le choix de maintenir toutes nos activités de lutte contre les exclusions en les adaptant ou en les aménageant pour répondre aux contraintes sanitaires et faire face à cette situation exceptionnelle. Parce que « l’aller vers » demeure plus que jamais essentiel, nous avons intensifié nos maraudes, étendu les tournées et augmenté les distributions de kits hygiène et de nourriture. Nous avons créé des équipes mobiles sociales et sanitaires. Dans les accueils de jour, nous avons allongé les horaires pour compenser la réduction de notre capacité d’accueil. Très important, nous avons maintenu ouverts nos points hygiène, renforcé le 115 et l’hébergement d’urgence. Nos centres d’hébergement spécialisés (CHS) ont également rouvert pour accueillir les personnes malades mais ne nécessitant pas d’hospitalisation. La mobilisation des bénévoles et salariés de la Croix-Rouge française a été massive.
En quoi le maintien du lien social est-il fondamental ?
La question du lien social est au cœur de toutes nos activités. La crise sanitaire et les mesures de distanciation sont venues impacter ce lien social, mais nous avons mis en place différentes initiatives pour combler ce manque: appels de convivialité, visio conférences, envois de sms, création de groupes de conversation, etc. Des discussions informelles se sont organisées, permettant de créer des relations nouvelles, horizontales, entre les travailleurs sociaux et les personnes accueillies. Nous assurons des distributions de téléphones portables, de tablettes et d’ordinateurs pour équiper ceux qui en ont besoin. Quand la souffrance psychique des personnes est trop pesante, nous proposons des rendez-vous en présentiel, en petit comité. Notre objectif est de maintenir nos actions et notre accompagnement dans la durée, car la crise est loin d’être terminée.