Le calme et la sécurité, enfin…
Progression dans le chapitre
Les visages sont marqués, pâles. Les regards absents, parfois larmoyants. Une dame âgée reste prostrée sur sa chaise, serrant son sac à main sur ses genoux. A côté d’elle, sa petite fille de six ans joue sur un tapis avec deux bénévoles et rit aux éclats. Contraste saisissant entre l’état de sidération de l’une et l’excitation de l’autre, qui raconte néanmoins la même histoire. La peur, le stress, la fatigue, le soulagement… les émotions s’expriment différemment mais elles sont extrêmement palpables. Régine Dupuy, vice-présidente de l’unité locale de la Croix-Rouge française à Dijon Métropole, gère le centre d’accueil. En quelques semaines, elle a appris à repérer la fragilité et la nécessité d’une approche en douceur. Des psychologues veillent sur les nouveaux arrivants et sont à leur écoute. Toute l’équipe de bénévoles présente fait preuve, elle aussi, de bienveillance et de discrétion. Le lieu est d’ailleurs d’un calme impressionnant mais apaisant.
Au bout de la nuit
Ce jeudi 7 avril, dix femmes et enfants sont arrivés dans ce nouveau centre d’accueil mis à la disposition de la Croix-Rouge. “Dix, c’est peu, mais 50 autres personnes sont attendues dans deux jours”, prévient Christophe Talmet, président de la délégation territoriale de Côte d’Or. En réalité, chaque semaine est différente. Le nombre de personnes arrivant d’Ukraine varie au gré de l’évolution du conflit. Les familles arrivent de Kyiv, de Vinnitsa ou de Marioupol. Après un passage plus ou moins long par la Pologne, puis l’Allemagne, elles ont souhaité venir en France. Anna, sa mère et ses deux filles vont ainsi rejoindre des amis à Lyon, “le temps que la situation s’apaise”. Elles ont tenu une semaine à Kyiv, passant leurs journées dans leur appartement, leurs nuits dans les sous-sols, mais “c’était devenu trop dangereux”. Alors elles ont rejoint la ville de Lviv durant un mois avant de décider de quitter le pays. “A présent, on se sent en sécurité”, dit Anna, reconnaissante pour tous les services qui leur sont proposés ici : l’accueil, la possibilité de téléphoner à des proches, grâce à une carte prépayée et anonyme, l’accompagnement pour les procédures administratives, ou encore le transport jusqu’à la gare.
Le dispositif est parfaitement orchestré. Plusieurs interprètes font le lien avec les bénévoles. Leur aide est précieuse pour comprendre les demandes. “La priorité pour tous, c’est de pouvoir téléphoner, explique Régine, ensuite nous leur expliquons petit à petit tout ce à quoi les familles ont droit : un lieu d’hébergement dans la ville, une couverture sociale et médicale, des soins, si besoin, une aide au départ… ” En prévision d’afflux plus importants, un fourgon aménagé transportant des fournitures d’hygiène, des jeux, des vêtements et autres produits de première nécessité ira vers ceux qui ont fait le choix de demeurer un certain temps en France, pour continuer à les accompagner dans la durée.
Un nouveau départ
Car le centre d’accueil n’est qu’une porte d’entrée, un sas, pour ceux qui arrivent en France. Des lits de repos et des douches sont à la disposition des arrivants. Une grande salle à manger leur permet de prendre une collation. Des bureaux les accueillent pour tout ce qui touche à l’administratif. Une gigantesque vestiboutique a été installée dans le hall pour leur permettre de s’équiper en vêtements, chaussures ou valises. Certains sont partis sans rien. C’est le cas d’Olga qui s’est enfuie de Vinnitsa dès le 24 février avec pour seul bagage son sac à main. “Tout ce que j’ai sur moi m’a été donné en Pologne, par des gens ou des associations”, dit-elle, en nous montrant ses vêtements rassemblés dans des sacs de courses. “Je redémarre de zéro, mais je me sens soulagée, protégée”. Olga désire rester en France et devenir bénévole pour aider ses compatriotes, tandis que sa famille est restée en Ukraine pour se battre, ajoute-t-elle, les yeux soudain voilés.
Après une halte de quelques heures, Maryia et sa fille Lilia repartent pour Metz, chez des amis. Pour elles, c’est la fin d’un long cauchemar. Originaires de Marioupol, elles ont vécu durant des semaines dans des conditions abominables, terrées dans le sous-sol d’un immeuble, sans rien manger, au rythme incessant des bombes et des tirs. Jusqu’à ce qu’elles décident de partir à pied, direction Zaporijia, à l’ouest. Pour y parvenir, elles ont dû franchir 21 check-points, les fouilles, la peur. Un homme en minibus les a cueillies sur la route pour les conduire jusqu’en Pologne. Pour les sauver. “Nous avons eu très peur. Des images de tous les événements passés ressurgissent, explique l’adolescente, dont les mots peinent à sortir.” Sa mère, au contraire, éprouve le besoin de raconter. “Vous ne pouvez pas imaginer comme c’est calme ici, comme ce silence qui nous entoure est rassurant”, dit-elle, les yeux embués de larmes. Le calme et la sécurité, enfin. Un premier pas vers la reconstruction et le retour à la normalité.
*Les prénoms ont été changés
“Essayer de nous reconstruire ici, en France”
Quand le conflit a éclaté, nous vivions dans un appartement situé dans le centre-ville, à 100 mètres du théâtre de Marioupol. On nous a coupé l’électricité, le gaz, le chauffage, l’eau et tous les réseaux des services publics. Ma fille et moi nous sommes réfugiées durant des semaines dans le sous-sol. La ville était bombardée jour et nuit, sans relâche. Nous avons eu terriblement peur. Pendant un mois, nous n’avons eu pratiquement ni eau ni nourriture. Nos provisions étaient épuisées. Nous n’avions pas d’autre solution que de fuir. Nous sommes parties à pied vers Zaporijia, à l’ouest. Nous avons dû franchir une vingtaine de check-points, la peur au ventre. Et puis, nous avons eu la chance de croiser un bus sur la route qui nous a emmenées vers la Pologne. Il nous a sauvées. Désormais, nous nous sentons en sécurité, bien sûr. Mais nous avons encore du mal à nous habituer au calme. Tout est si silencieux, les gens si tranquilles… Je ne sais pas ce que nous allons faire. Nous allons essayer de nous reconstruire ici, en France.
Nous sommes passées par la Pologne, juste le temps de monter dans un train pour Hanovre. Et puis nous sommes arrivées à Dijon. On nous a beaucoup, beaucoup aidées ici, à nous installer, à nous reposer. L’information est fournie de manière très rapide et efficace. Dijon n’est qu’une étape car nous rejoignons une famille à Lyon qui va nous héberger. (...) C’est tranquille ici, bien sûr. Mais j’aurais aimé me sentir aussi tranquille en Ukraine. Mon mari est resté, lui. Nous sommes en contact avec lui. Dès que la situation sera plus sûre, nous prendrons le chemin du retour.
"Sauver mes enfants avant tout"
Quand les sirènes ont commencé à retentir à Lviv, à cause des attaques aériennes, j’ai pris la décision de partir. Je voulais avant tout sauver mes enfants, qu’ils n’entendent ni ne voient pas tout cela. Pour ne pas qu’ils aient de blessures psychologiques. C’était ma motivation principale. [...] Les bénévoles nous ont très bien accueillies, ici. Cela nous a permis d’avoir un peu de tranquillité, d’être plus sereines. Le silence, le fait qu’il n’y ait ni tirs, ni bombardements… Revenir en Ukraine ? Non, c’est certain. Nous allons rester ici, à Dijon, pour l’instant du moins. En Ukraine, on ne peut plus rien y faire.