Continuer à se transformer
Progression dans le chapitre
Quels sont les principaux impacts de cette crise observés sur les publics que nous accompagnons ?
Cette crise, à l’origine sanitaire, est devenue en quelques mois une crise économique et sociale. Depuis mars 2020 en France, 1,3 million de personnes déclare ne plus s’en sortir. Ce constat, nos acteurs bénévoles et salariés, le font au quotidien sur le terrain, par l’augmentation nette des besoins, du nombre de personnes qui sollicitent notre aide ou encore du nombre de personnes venant frapper à notre porte pour la première fois de leur vie. Familles, parents isolés, travailleurs précaires, jeunes, retraités… Toute une frange de la population a basculé dans la précarité. Et si le recours aux associations représentait auparavant pour eux un complément ou un appoint, nous sommes désormais devenus une aide indispensable.
Quelques faits sont particulièrement éloquents et nous font redouter qu’une crise sociale s’installe durablement en succession à la crise sanitaire. En matière d’aide alimentaire, par exemple, nous notons une hausse de 60 % des bénéficiaires, avec parmi eux une augmentation significative de jeunes et d’étudiants, grands oubliés de cette crise. En matière d’exclusion, nos équipes de maraudes ont quant à elles rencontré près de 25 000 personnes à la rue, dont beaucoup n’étaient pas habituellement suivies par nos équipes. Préserver la santé de ces personnes à la rue est un combat quotidien. Nous constatons également des conséquences d’ordre psychologique, plus discrètes mais tout aussi inquiétantes. La santé mentale de la population s’est dégradée, chez les plus précaires en particulier : nos activités d’écoute téléphonique et de soutien psychologique ont connu une augmentation inédite des sollicitations, doublant presque en un an !
Toutes ces données sont la preuve, s’il en était besoin, de la précarisation d’une frange de la population mais aussi d’une très grande souffrance psychologique, liée à la peur d’être contaminé, à l’incertitude de la situation et à l’isolement social. Notre expérience d’acteur de l’urgence nous pousse à porter une vigilance toute particulière au soutien psychosocial des populations. Une fois l’urgence sanitaire passée, nous devrons rester attentifs à l’accompagnement de toute cette génération qui grandit dans un environnement anxiogène, et à construire avec elle ce temps de relèvement post-crise, indispensable à la reconstruction.
Comment la Croix-Rouge française fait-elle face à l’augmentation du nombre de bénéficiaires ?
C’est en premier lieu grâce à la mobilisation exceptionnelle de l’ensemble de nos volontaires – salariés, bénévoles, étudiants. Cet élan est d’autant plus admirable que notre organisation elle-même a été affectée par la crise. Nos volontaires ont dû composer avec la complexité issue de la modification de certaines activités, du risque de contamination, de l’évolution permanente des protocoles sanitaires, etc. Je tiens à les remercier une nouvelle fois. Ils ont fait et continuent de faire preuve d’une capacité d’adaptation remarquable et ont prouvé toute l’agilité de notre organisation qui possède résolument l’innovation sociale au cœur de son ADN. Plus précisément, notre association a su inventer de nouveaux dispositifs en réponse à de nouveaux besoins. Je pense notamment à Croix-Rouge chez Vous, lancé 5 jours après le début du confinement et rapidement devenu la plateforme nationale de référence en matière de lutte contre l’isolement social.
En plus des défis impliqués par l’augmentation du nombre de bénéficiaires et celle des nouveaux besoins sociaux se pose la question de la prise en charge des nouveaux visages de la pauvreté. Alors qu’ils en auraient besoin, tous n’ont pas le réflexe de se tourner vers nos structures. Nous renforçons donc nos moyens de détection le plus en amont possible de la précarité, en investissant dans nos actions de veille sanitaire et sociale, en développant nos dispositifs d’« aller vers » les publics les plus isolés et en travaillant en bonne intelligence entre différents acteurs et corps de métier.
Quel bilan tirez-vous de cette année de crise ?
Je pense que cette crise a créé un électrochoc – j’oserais dire salutaire – pour l’ensemble de la société française. D’abord, en nous faisant interroger notre rapport à nos priorités, à ce que chacun d’entre nous considère comme essentiel. Ensuite, en nous confrontant à nos propres vulnérabilités et limites ; chacun d’entre nous peut être amené à y faire face à un moment de son parcours de vie. Enfin, en nous laissant entrevoir la grandeur de ce que nous sommes capables d’accomplir lorsque nous agissons collectivement face à l’urgence. En somme, nous avons renoué avec notre devoir de responsabilité les uns envers les autres et avec notre sens de l’intérêt général.
Je retiens par-dessus tout, le formidable élan d’engagement, de solidarité, de créativité auquel nous avons assisté. À l’échelle de la Croix-Rouge française, ce ne sont pas moins de 30 000 personnes qui sont venues frapper à notre porte pour proposer leur aide. Cette crise nous a également permis de créer de nouveaux types de partenariats avec les entreprises, de construire une relation de confiance avec les pouvoirs publics et d’autres acteurs associatifs. Nos donateurs ont été, eux aussi, d’une générosité extraordinaire. Cet engagement au service de l’intérêt collectif montre l’importance de « faire ensemble » : entreprises, associations, secteur public, citoyens… C’est la clé pour construire un monde plus juste et durable.
La mobilisation contre la pandémie se poursuit, notamment avec la montée en puissance des vaccinations. Comment la Croix-Rouge s’engage dans ce nouveau challenge ?
La vaccination est vraiment l’enjeu majeur et le levier indispensable pour espérer sortir de cette crise dans les prochains mois. Notre association est donc pleinement mobilisée auprès des pouvoirs publics pour vacciner un maximum de personnes dans les plus brefs délais, en particulier les plus fragiles. Dès janvier, nous avons déployé des dispositifs adaptés aux besoins des territoires (centres de vaccination de proximité, dispositifs mobiles, etc.), en partenariat avec les préfectures et les agences régionales de santé. Puis, face à l’accélération de la vaccination, nous avons été sollicités pour être opérateur dans des méga-centres comme celui du Stade de France en Seine-Saint-Denis qui a ouvert ses portes en avril dernier. Notre engagement est donc total.
Est-ce à dire qu’il y aura un avant et un après Covid pour la Croix-Rouge française ? Qu’est-ce qui va changer selon vous ?
Cette crise a ébranlé en profondeur l’ensemble de la société. Nous devrons composer avec ses conséquences économiques et sociales à long terme et en tirer les enseignements. Néanmoins, elle nous aura également rappelé toute la pertinence des actions et de la place de notre association. La Croix-Rouge que nous avons vu agir tout au long de l’année écoulée est celle qui illustre le mieux notre nouveau projet associatif. Notre raison d’être, « La Croix-Rouge française agit pour protéger et relever sans condition les personnes en situation de vulnérabilité et construire, avec elles, leur résilience », n’a jamais été autant d’actualité !
La Croix-Rouge de demain continuera à se transformer dans cette perspective, en prolongeant les réflexions en cours sur ses activités, son impact social ou encore sur son modèle économique. La stratégie 2025 en cours d’élaboration fera émerger une Croix-Rouge toujours plus forte et innovante, à la hauteur des défis posés par l’horizon de crises qui nous fait face. Nous devrons continuer à promouvoir la culture du risque, à diffuser le goût pour l’engagement, à maintenir nos exigences en matière de performance pour mieux nous préparer aux nouveaux champs de bataille à venir.