July 1, 20221
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Et demain ?
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"Il y aura un avant et un après Ukraine"

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Progression dans le chapitre

Jean-Christophe Combe s’est rendu en Ukraine et à ses frontières, en Pologne et en Roumanie. Le directeur général de la Croix-Rouge française en est revenu à chaque fois impressionné par la mobilisation extraordinaire des volontaires de la Croix-Rouge, mais aussi par l’immensité des besoins à couvrir. Il nous donne ici sa vision sur cette crise dont les conséquences vont se faire sentir à long terme.

 

 

Je saisis l’opportunité qui m’est offerte ici de m’exprimer sur le conflit en Ukraine pour dire tout d’abord ma fierté d’appartenir au Mouvement international Croix-Rouge. Jamais dans notre histoire nous n’avons connu une telle mobilisation ni un tel élan de solidarité pour une cause humanitaire. Il faut dire que cette tragédie nous bouleverse tous. Ma pensée va en priorité aux volontaires de la Croix-Rouge ukrainienne. J’ai été frappé, lors de mon déplacement en avril dernier dans l’ouest de l’Ukraine, par leur courage admirable, par la force de leur engagement, par leur détermination à aider les leurs, parfois au péril de leur vie. J’ai pu constater également que des citoyens venaient spontanément leur prêter main forte, unis derrière notre emblème.

 

Notre Mouvement tout entier fait face à une crise que nous n’aurions osé imaginer. Pas moins de 39 Croix-Rouge et Croissant-Rouge participent à la réponse à cette urgence humanitaire qui touche évidemment l’Ukraine en premier lieu, mais qui impacte aussi tous les pays voisins et bien au-delà si l’on prend en considération les impacts économiques de cette crise. La Pologne, où je me suis rendu en mars dernier, accueille près de trois millions de personnes qui ont fui le conflit. Plus de 14 millions de personnes, soit plus d’un tiers de la population ukrainienne, sont aujourd’hui déplacées. Ces chiffres sont vertigineux, terribles.

 

 

Face à cette situation humanitaire insoutenable, nous avons déployé toute notre force de réaction, unique au monde, mus par nos principes et valeurs qui guident notre action. Parfois malmenés ou incompris, ils demeurent cependant un socle immuable. Notre principe de neutralité, en l’occurrence, sert notre action, à travers ce que l’on appelle la diplomatie humanitaire. Cen’est ni un signe de faiblesse, ni une posture d’indulgence. C’est au contraire une force ! Dans cette crise, elle nous permet de négocier la protection de civils auprès de toutes les parties prenantes au conflit, à travers le Comité international de la Croix-Rouge qui est le garant du droit international humanitaire et des Conventions de Genève. Ainsi, nous n’avons eu de cesse de rappeler les règles de la guerre et l’obligation, en principe, d’épargner les civils comme les humanitaires. Ces messages ne sont jamais vains, même s’ils se heurtent parfois à la réalité des faits. Car ils permettent de sauver des vies.

 

Cette crise va durer, et quelles que soient son issue et son échéance, les besoins vont rester immenses. C’est pourquoi nous devons garder intacte notre mobilisation. Je m’adresse ici aux volontaires de la Croix-Rouge française qui œuvrent sans relâche sur le terrain depuis des semaines, apportant humanité et assistance à de nombreuses vies meurtries. Ne relâchons pas notre énergie, notre attention. Maintenons notre capacité à accueillir, à accompagner et intégrer ces milliers de personnes qui ont tout quitté pour trouver refuge sur notre territoire. Ce devoir d’humanité nous honore mais nous devons trouver les moyens d’agir durablement, avec le soutien des Français et des pouvoirs publics pour continuer à les aider à se relever et se reconstruire dans des conditions dignes.

 

Pour mener au mieux notre action dans les mois à venir, nous travaillons depuis des semaines à anticiper les impacts – directs et indirects – du conflit sur notre territoire et en Europe. Là, trois grands enjeux se posent : un afflux accru de migrants, une hausse probable du chômage, de l’inflation, de pénuries, autrement dit une hausse de la précarité. Mais aussi un risque de radicalisation et de polarisation en raison d’une situation sociale et politique explosive. Serons-nous en mesure de faire face à ces défis ? C’est tout l’enjeu de notre démarche d’anticipation. Nous avons ainsi élaboré trois scénarios : un règlement rapide du conflit – peu probable –, un enlisement ou une escalade. Pour chaque scénario envisagé, nous avons défini 10 chantiers prioritaires allant de notre capacité de réponse face à l’augmentation des besoins et de la précarité, à notre aptitude à mobiliser davantage de volontaires en les formant à un contexte de crises permanentes. Tous ces défis, exacerbés par la crise ukrainienne, font écho à notre Stratégie 2030. En ce sens, ces événements sont un accélérateur de transformation et d’innovation pour notre organisation.

 

 

Ainsi, il y aura, selon moi, un avant et un après Ukraine dans bien des domaines, au regard de l’explosion des besoins – notamment alimentaires – en Europe mais aussi dans le reste du monde où les vulnérabilités préexistaient. Nous devons capitaliser sur les événements actuels, continuer de nous réinventer, pour rester à la hauteur des enjeux. Nous avons un devoir d’efficacité et de redevabilité envers tous ceux qui nous font confiance ; un devoir de protection aussi envers les volontaires qui servent notre organisation. Faire en sorte que dans cet avenir que vous me demandez d’envisager, notre emblème demeure un gage de protection et d’humanité, en toutes circonstances.